Pardon 2002

Le Vieux-Marché, un espace d’hospitalité Enregistrer au format PDF Voir la version PDF

Homélie du pardonneur
Dimanche 4 août 2024

Marie-Françoise Quinton a retrouvé, dans le dossier consacré au 50e anniversaire du pèlerinage islamo-chrétien des Sept-Saints de la revue Hopala !, le texte de l’homélie que le pardonneur de l’époque avait prononcée le 27 juillet 2002, présenté par Gérard Prémel, alors directeur de cette revue…

ll est des lieux chargés d’humanité… Il est des choses qui ont une âme…
Un menhir… une forêt… une source… Tel est Le Vieux-Marché.
Jean Le Brizaut, Daniel Massignon, Louis Massignon, et vous les habitants du Vieux-Marché.
Vous avez donné à cet espace le goût de la rencontre. Vous avez offert à tous les pèlerins qui passent ici « l’Hospitalité sacrée ». Juifs, chrétiens, musulmans, et tous ceux qui croient en l’homme, nous voici à l’ombre du chêne de Mambré.
En ces temps de violence, Le Vieux-Marché peut devenir signe de réconciliation.
Ensemble nous voulons être pèlerins de la paix.
Nos mains sont liées pour bâtir une terre fraternelle.
Nos cœurs sont à l’unisson, pour chanter la joie de nos différences partagées.
Il y a ici comme un murmure. un appel qui jaillit du fond des âges.
Enraciné dans nos traditions, semence d’avenir.
Le menhir, la forêt, la source, comme autrefois, rassemblent toujours les hommes.
Pour qu’ils se découvrent frères.

Je vous propose un cheminement en deux étapes pour ce pardon 2002.
Ce soir, avec vous, découvrir quand l’homme offre l’hospitalité à l’homme.
Demain dimanche, nous nous émerveillerons de voir Dieu donner l’hospitalité à l’homme.

Ainsi le pardon, selon la tradition bretonne, nous fait cheminer à travers nos vies pour une rencontre avec celui qui est le « Tout Autre ».
Notre marche deviendra démarche.
Choisir le thème de l’hospitalité pour ce pardon 2002 était un défi, que chacun a relevé puisque nous voici ensemble pour vivre l’expérience des sept jeunes gens d’Éphèse que nous célébrons en ces lieux : « La Vie est plus forte que la Mort ».
En 250 sévit une persécution contre les chrétiens déclenchée par l’empereur Decius.
Sept jeunes gens d’Éphèse refusent de sacrifier à l’empereur leur adoration au Dieu unique.
Poursuivis, ils trouvent refuge dans une caverne… Et vous, les enfants, ici, vous serez contents de savoir que leur petit chien était avec eux. Ils sont emmurés vivants.
Ils vont devoir devenir témoins de la résurrection, tradition commune aux chrétiens et aux musulmans.
Ce culte aux Sept Dormants d’Éphèse est parvenu jusqu’au Vieux-Marché, après avoir essaimé tout autour de la Méditerranée, en Europe et jusque dans la lointaine Irlande la croyance au Dieu vivant qui fait vivre.
Ces jeunes gens endormis dans la caverne vont réveiller en nous la confiance en la vie : Maximilien, Malchus, Martinien, Denis, Jean, Sérapion et Constantin s’éveillent à la vie.
« Lorsque les jeunes gens se réfugièrent dans la caverne, ils dirent : “Notre Seigneur, prodigue-nous de ta part miséricorde" » , selon un verset de la sourate 18 du Coran que les musulmans invoquent partout dans le monde le vendredi.
Ces compagnons de la caverne vont devenir signes, prodiges, pour les générations à venir.
Tradition ancienne, qui devient humus d’avenir, et c’est bien dans cette mémoire que nous enracinons notre présent, que nous avons à vivre sur une terre qui est devenue inhospitalière.

  • Comment donner hospitalité à la paix, quand tant de peuples se font la guerre, en Tchétchénie. en Palestine, au Soudan ?
  • Comment faire hospitalité à l’accueil lorsque nous refusons le droit d’asile, lorsque nous fabriquons des sans-papiers ?
  • Comment inventer l’hospitalité au partage au moment où nous imposons la dette aux pays les plus pauvres de la planète ? Ni la violence, ni la fermeture des frontières, ni le tout pour soi ne sont des fatalités. Certes, ce n’est pas facile de vivre l’hospitalité. Il faut se serrer pour faire de la place à l’autre. Et l’autre, parce qu’il est différent, devient gênant.

Cependant, pour l’Europe de culture judéo-chrétienne-musulmane et de culture des Droits de l’Homme, l’hospitalité est une tradition. Souvenez-vous de l’accueil offert aux Arméniens, aux républicains de la guerre d’Espagne, aux Chiliens persécutés par Pinochet, aux réfugiés de l’Est, aux demandeurs d’asile politique et territorial.
La France signe en 1952 la Convention de Genève pour l’accueil des réfugiés, et c’est toujours en ces lieux de fractures humaines, où l’homme est nié, rejeté, exclu, tué. que d’autres hommes se lèvent debout dans leur dignité, témoins de la vie, bâtisseurs de paix, partageurs des biens de la terre.

Hospitalité et humanité, deux mots qui vont ensemble.
Hospitalité est au sommet de l’humanité. L’hospitalité, c’est la meilleure manière de se montrer humain au cœur de l’hostilité. Mot de la même racine qu’hospitalité, il est une urgence : besoin d’hôpital, ce lieu où on soigne l’homme, espace où l’on guérit l’homme blessé, où l’on donne hospitalité à l’homme en manque d’humanité.

Ce soir, l’espace même qui nous accueille nous invite à devenir « hôte »… celui qui donne l’hospitalité et celui qui reçoit l’hospitalité. C’est le même mot. C’est une même réalité : ouverture d’un espace de rencontre réciproque. La chapelle est bâtie sur le roc du dolmen. pour que surgissent les pierres vivantes que nous sommes, d’un édifice toujours à construire, maison aux portes ouvertes à la « Visitation de l’étranger ». Nous avons dressé la table, pour un repas sur le monde où Dieu lui-même sera notre hôte et notre invité. _Et nous ferons une marche vers le tantad, feu qui éclaire nos nuits de désespérance, chaleur qui réchauffe nos froideurs, lumière qui nous rassemble et nous montre la route d`une humanité fraternelle. Demain, nous irons jusqu’à la source pour entendre une parole venue d’ailleurs.
La parole du Tout Autre.
Oui, le Vieux-Marché offre à tous ses invités le roc, dolmen de toutes nos espérances, la maison, accueil de tous nos exils, le feu, lumière pour toutes nos errances, la source, origine de toute renaissance.

Le pardon du Vieux-Marché, une démarche pour accueillir une parole, celle de l’étranger, parole qui nous met en route, parole qui fait de nous une humanité nouvelle.
En ces temps de mondialisation, partager le pain, le sel et l’eau construit cette humanité plurielle d’une manière singulière. Ensemble, chacun devient compagnon.

Voici que se lève le temps d’une responsabilité à prendre, d’une solidarité à vivre, d’une espérance à partager. lei, au Vieux-Marché, dans cette démarche du pardon des Sept Dormants d’Éphèse, nous voulons nous réveiller, nous tenir en éveil. Nous voulons vivre et faire vivre cette humanité que nous portons comme un précieux trésor. Nous désirons faire la fête pour un monde qui accueille et se laisse accueillir. Vivre l’expérience d’Abraham à Hébron, de Moïse sur la montagne du Sinaï, de Jésus sur la colline de Golgotha, de Muhammad à Médine, la ville qui accueille son émigration, de François d’Assise à Damiette pour un temps de courtoisie au cœur de la violence, de Gandhi à Bénarès près du Gange, de Charles de Foucauld dans la solitude du Hoggar.
Ces lieux pleins d’humanité, ces espaces favorables à la rencontre, Louis Massígnon les a tous fréquentés.Terre de la permanence où les nomades de l’éternel peuvent faire une halte, pour donner sens à leur marche, où l’homme peut se laisser accueillir par cette présence infinie de l’invisible, où chaque homme peut devenir l’hôte de Dieu.

Alors pourra commencer le fest-noz, cette ronde ouverte à tous ceux qui veulent vibrer au rythme de la fraternité.

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