Il y a une vingtaine d'années, Joël Leroux, médecin, s'installe au Vieux-Marché (Côtes-d'Armor). Il y découvre une histoire «pleine de symboles» : celle du pardon breton des Sept Saints, qui rassemble chaque année dans ce hameau voisin du Vieux-Marché, des personnes de religions et de convictions différentes, principalement des chrétiens et des musulmans. Agnostique comme il se définit lui-même, Joël Leroux décide alors de «réactiver» ce qui lui semble être «un pari difficile mais essentiel pour aujourd'hui». En 1992, il crée avec des habitants du bourg et des communes voisines l'association Sources des Sept Dormants, qui depuis anime le pardon.

Chaque année, au cours du week-end qui suit la fête de Marie Madeleine, le pèlerinage commence dès le samedi matin au Vieux-Marché, par des débats interreligieux (juifs, chrétiens, musulmans) sur des thèmes comme l'hospitalité, ou, cette année «Vivre ensemble, de la réalité à l'espérance». La journée s'achève par le pardon (cette année présidé par Mgr Teissier, archevêque d'Alger) qui s'ouvre par une messe à la chapelle des Sept-Saints, suivie d'une marche à travers champs au cours de laquelle les pèlerins (plus de 2.000) chantent la gwerz qui conte la légende des Sept Dormants, avant de se retrouver autour du tantad, le feu purificateur. Le lendemain, à l'issue de la grand-messe, tous se retrouvent à nouveau en contrebas de la chapelle, autour de la fontaine aux Sept Trous. C'est là que les musulmans, qui ont passé la nuit chez des habitants du bourg, récitent et commentent une sourate du Coran, la sourate 18 dite des «Gens de la Caverne».

«Des lunettes d'espérance»

Pourquoi, comment un tel pardon a-t-il vu le jour ? L'histoire remonte aux années cinquante. Louis Massignon, universitaire français spécialisé dans l'étude de l'arabe et de la mystique musulmane, est alors un orientaliste reconnu. Au cours de ses travaux, il a notamment longuement étudié les écrits d'un mystique musulman, Al Hallâg (mort en 922). Sous son influence, le Français a fait l'expérience bouleversante de l'amour de Dieu, et s'est converti au catholicisme. Depuis, sa vie entière est marquée par une double solidarité : solidarité avec le Christ et avec l'Église, solidarité avec l'islam et le monde Arabe. La découverte du pardon breton des Sept Saints et de la gwerz chantée à cette occasion, va lui donner l'occasion de les mettre une nouvelle fois en pratique. Le pardon des Sept Saints a en effet été identifié comme étant un ancien pardon aux Sept Dormants, dont le culte était très répandu dans le christianisme ancien.

Or, pour Louis Massignon, les Sept Dormants ? ces martyrs chrétiens d'Éphèse emmurés vivants en 250 ap. J.-C. ? sont bel et bien les «Gens de la Caverne» évoqués dans le Coran. En 1954, au début de la guerre d'Algérie, il fait donc le pari ? prophétique ? d'inviter des musulmans au pardon, afin que les chrétiens découvrent que le Coran met en valeur des saints martyrs chrétiens. «Il a fait venir en bus des musulmans qu'il connaissait par le biais des cours d'alphabétisation qu'il donnait en région parisienne», se souvient Nicole Massignon, l'épouse de Daniel, le fils de l'orientaliste.

Dès la première rencontre, en accord avec le clergé du doyenné, une veillée commune de prière pour la paix est organisée, la gwerz de langue bretonne est chantée à la chapelle, et la sourate psalmodiée à la fontaine. «Jusqu'à sa mort en 1962, Louis Massignon défendra contre vents et marées la dimension interreligieuse du pardon, avec le soutien de chrétiens et de musulmans engagés dans le même combat pour la paix», ajoute Nicole Massignon.

Depuis, d'autres ont pris le relais, notamment des Trégorois qui, comme Patrick Léger, s'efforcent de regarder la réalité «avec des lunettes d'espérance» et de «réancrer l'espoir d'un mieux vivre ensemble». Mohammed Loueslati, aumônier de prison à Rennes, participera pour la troisième année au pardon : «J'ai le droit et le devoir, en tant que musulman, d'y être présent, explique-t-il. Les guerres et les conflits ont changé, mais l'urgence demeure de se rencontrer, de témoigner, de partager ce qui nous est commun, d'écrire ensemble l'histoire.»