Pardon 2024

Pardon 2024 : Homélie du samedi soir Enregistrer au format PDF Voir la version PDF

Samedi 27 juillet
Jeudi 8 août 2024 — Dernier ajout lundi 19 août 2024

Homélie lors de la messe à la chapelle des Sept-Saints par le cardinal Cristobal Lopez Romero, salésien de Don Bosco.

Tout d’abord, je dois rendre grâce à Dieu, et à Monseigneur Denis Moutel, de m’avoir invité à participer à ce pardon. C’est pour moi un honneur et un privilège que je ne mérite pas personnellement.

Pourquoi ai-je accepté l’invitation ?

  1. J’ai accepté de venir ici au nom de l’Église de l’archidiocèse de Rabat, au service duquel je suis depuis 6 ans en tant qu’archevêque, et aussi au nom des Églises du nord de l’Afrique, puisque depuis 2 ans je suis le président de la Conférence Épiscopale de la Région Nord Afrique (Libye, Tunisie, Algérie et Maroc).
  2. J’ai accepté aussi parce qu’il s’agit d’un pardon et que mon rôle ici est celui du Pardonneur. Or, l’importance du pardon dans la vie chrétienne et dans la vie sociale en général, vient s’exprimer à travers une histoire, inventée certainement, mais qui indique, d’une façon sympathique et réussie, ce que le pardon représente dans la vie.
    Permettez-moi de vous la raconter.

    Il était une fois un journaliste très créatif et très osé. Dans sa créativité et son courage il a imaginé d’interviewer Dieu, oui, Dieu le Père, le tout puissant. Suivant le protocole, il a présenté une demande de rendez-vous avec Dieu et, ô surprise, on le lui a accordé. Il s’est bien préparé pour la rencontre avec le Très Haut, et au jour et à l’heure fixée, les anges l’ont conduit devant l’Éternel.
    Avec un peu de nervosité et après les salutations de rigueur, voici le dialogue qui s’est engagé :
    - Père Éternel, excusez-moi de vous déranger. Vous devez être très occupé et votre temps est précieux.
    - Bon, répondit Dieu, pas beaucoup. Pense que je suis Éternel ; alors le temps ne me manque pas, au contraire j’ai tout le temps que je veux.
    - Mais vous devez avoir beaucoup de préoccupations pour gérer tout l’Univers.
    - Ne crois pas, mon enfant. J’ai tout créé, le soleil, la lune, les étoiles et j’ai mis des lois pour leur fonctionnement, de façon qu’on peut dire que maintenant tout fonctionne seul.
    - Alors on pourrait dire que vous avez du temps libre !!!
    - Oui, bien sûr, j’ai tout le temps à ma disposition.
    - Et pendant tout ce temps libre, qu’est-ce que vous faites, comment vous vous occupez ?
    - PENDANT TOUT MON TEMPS LIBRE, JE PARDONNE.

    Pendant tout mon temps libre je pardonne…

    Oui, Dieu, pendant son temps libre, qui est toute l’éternité, pardonne. Le métier de Dieu n’est pas celui de condamnateur, mais celui de Pardonneur. Il est le Pardonneur au Vieux-Marché et partout ; il est le Pardonneur par excellence. Et moi, je me sens honoré et responsabilisé de collaborer avec Dieu dans cette tâche, ô combien nécessaire, de pardonner. Le métier de Dieu n’est pas d’être condamnateur, c’est d’être Pardonneur. C’est pourquoi j’accepte volontiers le titre de Pardonneur.

    Mais ce n’est pas ça l’important, l’important c’est que Dieu nous appelle, Dieu nous invite à son festin, Dieu nous invite à sa maison comme nous chantons parfois pour nous faire pardonner.

    C’est pourquoi la messe commence toujours avec le temps de demande de pardon, le moment pénitentiel. Et nous avons tous à nous repentir, à demander pardon et à nous laisser accueillir par la Miséricorde de Dieu, à nous laisser embrasser comme le Père embrassait le Fils prodigue quand il retournait à la maison.

    Pensez que nous sommes tous des Fils prodigues ? Savez-vous, connaissez-vous le nom du Fils prodigue dans la parabole ? Comment s’appelle le Fils prodigue ? Il n’y a pas de prénom pour le fils prodigue. Pourquoi ? Parce que le fils prodigue c’est toi, c’est toi, c’est toi, c’est moi. Quand l’Évangile ne donne pas le prénom d’un personnage, c’est pour que chacun mette le sien, son propre prénom. Nous sommes tous des Fils prodigues et aujourd’hui, dans ce pardon nous sommes venus à la Maison du Père pour qu’Il nous embrasse, pour qu’Il nous dise : «  Viens célébrer la fête avec nous ». C’est cela que nous sommes entrain de faire.

    Sa Majesté Mohamed VI, le roi du Maroc, que Dieu l’assiste, avait dit devant le Pape François et devant le peuple Marocain : Il est une réalité essentielle : Dieu Pardonne. Parce que Dieu est Miséricorde. Nous avons placé la générosité et l’indulgence au cœur de notre action.
    Parce que Dieu est Amour, nous avons essayé de faire de notre règne un témoignage de proximité, au chevet des plus pauvres et des plus vulnérables
     »
    Cela impressionne, cela fait plaisir d’écouter de la bouche d’un Roi musulman que Dieu pardonne, que Dieu est Miséricorde et que Dieu est Amour. C’est écrit, je l’ai écouté, je ne l’ai pas inventé.

  3. J’ai aussi accepté de venir à ce pardon parce que je suis conscient que nous, les chrétiens des Églises du nord de l’Afrique, Églises qui vivent leur foi comme une minorité au milieu d’une majorité musulmane, nous avons une grande responsabilité envers l’Église universelle et envers le monde entier. En effet, même si ces Églises sont insignifiantes en raison de leur petitesse, en raison de la quantité minuscule de fidèles chrétiens, je suis convaincu qu’elles sont très significatives. Insignifiantes parce que petites, mais significatives par le message que nous avons à transmettre et par le rôle que nous avons à jouer. De ce rôle et de ce message je vais et je veux vous parler.

Qu’est-ce que j’ai à vous dire ?

N’attendez pas de moi un cours de théologie, parce que je ne suis pas un théologien, si ce n’est à la façon où tout croyant est théologien (parce que nous devons réfléchir tous sur notre expérience de Foi, sur notre vie chrétienne), et en plus parce que nous ne sommes pas à la faculté. N’attendez pas non plus ni une leçon d’histoire (pour cela vous avez ici Manoël Pénicaud, qui le fait très bien et qui nous a fait hier une leçon magnifique), ni un discours anthropologique ou culturel.

Je peux vous offrir, par contre, un témoignage de vie, qui est le mien, bien sûr, mais qui est aussi le témoignage de foi des Églises du Maghreb.

En effet, il y a 70 ans, ce pardon des Sept Dormants a pris une tournure spéciale, une caractéristique particulière. Je ne connais pas beaucoup l’histoire, mais je sais que, grâce à Louis Massignon, ce pardon des Sept Dormants s’est greffé, s’est enrichi d’une dimension islamo-chrétienne et il est devenu l’occasion d’une rencontre entre chrétiens, musulmans et encore au-delà, d’humanistes et de personnes de bonne volonté.

Il y a aussi 70 ans, le Maroc réclamait et se préparait pour récupérer sa pleine souveraineté sur son territoire, et l’Église catholique au Maroc, organisée comme Vicariat Apostolique jusqu’à ce moment, atteignait sa maturité à travers la création de deux archidiocèses, celui de Tanger tout d’abord, puis celui de Rabat.

Alors, ce pardon depuis 70 ans, et les Églises du nord de l’Afrique depuis quelques siècles, nous avons la même mission : « être ponts et construire des ponts ». Oui, ce pardon a acquis, il y a 70 ans, une caractéristique particulière : être une rencontre de musulmans et de chrétiens, un lieu et une occasion de dialogue entre les uns et les autres, et même avec des personnes qui peut-être ne professent pas une foi religieuse, mais qui se sentent attirés par le besoin d’une spiritualité qui donne du sens à la vie.

Nous, en tant que chrétiens au Maghreb, nous voulons être aussi Sacrement de la rencontre, églises en sortie, lieu de dialogue islamo-chrétien.

Le rôle commun de ces pardons et de nos Églises est d’être un pont. Vous savez le Pape est encore beaucoup de fois appelé : « Souverain Pontife » ; pontife, cela veut dire constructeur de ponts, bâtisseur de ponts ; pontife : celui qui fait un pont. Le Pape est le Souverain Pontife, mais nous, nous sommes tous des pontifes. Nous devons être tous des constructeurs de ponts.

Oui, nous essayons au Maroc d’accomplir ce rôle de pontifes en communiquant le message que nous portons dans notre vie, l’expérience de vie que nous vivons au jour le jour.

Quel est ce message que nous essayons de transmettre ? Musulmans et chrétiens nous pouvons vivre ensemble, en amitié, en bonne convivialité, dans le respect mutuel et nous pouvons construire ensemble un monde de Fraternité. Ça c’est l’important, ce n’est pas tous les croyants et toutes les personnes qui acceptent ce message. Il y a beaucoup de personnes, de groupes, des institutions qui veulent nous confronter, qui veulent qu’il y ait des problèmes entre nous. Par contre nous, nous vivons en amitié ; je dis parfois qu’il y a des musulmans au Maroc qui donneraient leur vie pour moi s’il le fallait et moi pour eux. Comme une expression de la Fraternité vécue jusqu’à l’extrême. Donc si cela est possible dans un endroit, pourquoi ne pas le rendre possible partout ?

Nous ne disons pas cela car nous l’avons appris dans un livre ou à la faculté de sociologie, nous le disons parce que c’est une expérience personnelle et collective, communautaire : nous vivons en amitié, en paix, en fraternité. Ce n’est pas quelque chose de facile, tout le monde n’entre pas dans ce genre de relation, parce qu’il y a 37 millions de musulmans au Maroc et beaucoup ne savent même pas qu’il y a des chrétiens au Maroc.

Donc, musulmans et chrétiens nous sommes des frères et des sœurs. Il faudrait, pour commencer, « parler moins des musulmans et parler davantage avec les musulmans ». Ici, ce pardon, ce soir et surtout demain, est une occasion de se rencontrer, de se connaître et aussi d’avoir un contact personnel avec des musulmans. Parfois, ils habitent à côté et nous ne nous connaissons pas suffisamment.

Bon, voilà un peu le message que nous avons à vous donner. Mais il y a un autre message pour vous, les chrétiens de Bretagne et de France en général, je vois que cette région est pleine de chapelles, pleine de signes religieux, de croix, etc ; mais ce n’est pas tous les jours ni tous les dimanches que la chapelle est remplie comme ce soir. En Espagne, un pays qui était catholique à 100 %, je découvre maintenant, une maladie que les médecins ne connaissent pas encore ; elle s’appelle la « dépression religieuse » et se manifeste lorsque la personne commence à se poser ce genre de questions : « Qu’est ce qui nous arrive ? Qu’est-ce que nous avons mal fait ? Pourquoi cela ? Où est-ce que nous allons ? Cela va finir ? Chaque jour nous sommes moins, chaque jour nous sommes plus vieux … les derniers, SVP, qu’ils éteignent la lumière ! »

Alors il y a des personnes qui pensent que tout est fini, que les choses vont mal. Donc, face à cette maladie, la « dépression religieuse », nous pouvons vous dire : « Cela ne compte pas, nous sommes à peine, à peine, 30 000 chrétiens catholiques au milieu de 37 millions de musulmans et nous vivons notre Foi dans la joie et même avec enthousiasme ! » Le Pape est venu, parce que le Pape est venu nous visiter, et il nous a dit : « Ce n’est pas un problème d’être peu, le problème serait, en tout cas, de devenir du sel qui a perdu la saveur de l’Évangile ou de devenir une lumière qui n’illumine plus personne… » Et après il nous a expliqué que le règne de Dieu c’est comme du levain. Le levain ce n’est pas toute la pâte, c’est juste un petit peu de levain qui fait fermenter, monter toute la pâte. Alors, c’est là le message que je viens vous dire aussi :
N’ayez pas peur, soyez contents dans votre Foi. On ne nous demandera pas des comptes sur la quantité que nous avons été : 200 ou 400 ou 15. On nous demandera plutôt : «  Est-ce que tu m’as donné à manger quand j’étais affamé ? Est-ce que tu m’as visité quand j’étais malade ou prisonnier ? Est-ce que tu m’as accueilli quand j’étais étranger, migrant, réfugié ? »

Ce sont les questions de l’examen final. Il est question de préparer l’examen ! Les questions ne seront pas : « Est-ce que tu es allé à la messe tous les dimanches ?  » Même si c’est important d’aller à la messe…Je ne dis pas qu’il ne faut pas y aller, mais la question ne portera pas sur la quantité de « Je vous salue Marie » que nous avons dit ou la quantité de fois que nous avons lu l’Évangile ! La question sera de savoir si nous avons donné à manger aux affamés, donné à boire à l’assoiffé, vêtu celui qui était nu, etc. Nous connaissons bien ça. Alors, tout cela, le pardon de cette année doit nous le rappeler, parce que nous tous, nous nous préparons pour passer cet examen, qui est comme la vérification de toute la carrière !

Et je vais finir avec une histoire, parce que vous voyez combien le Pape insiste pour construire entre tous, musulmans et chrétiens, la Fraternité universelle. Il a signé un document avec l’Imam de la mosquée d’Al-Azhar en Égypte, document dont le titre est : « La fraternité humaine pour la paix mondiale et la coexistence commune ».

Donc l’histoire est celle-ci :

Il y avait un savant qui avait beaucoup de disciples dans son village de Bretagne. Une fois il leur a posé une question pour qu’ils apprennent : « Quand peut-on dire que la nuit est déjà finie et que le jour est déjà commencé ? » Car il n’y pas un moment précis, une ligne claire ; c’est comme en ce moment, il fait encore jour ou bien pouvons nous dire qu’il fait déjà nuit ?
Alors, un étudiant, un disciple de ce maître savant dit :
- Quand au loin je vois un arbre et que je peux distinguer s’il s’agit d’un figuier ou d’un pommier, alors il fait déjà jour.
- Non, la réponse n’est pas bonne !
Un autre essaye et dit :
- Quand au loin je vois un animal à quatre pattes et que je peux distinguer s’il s’agit d’un âne ou d’un cheval, alors il fait déjà jour.
- Non ce n’est pas non plus la bonne réponse.
- Alors, maître, quelle est la solution ?
Il dit :
- Quand tu vois venir un être humain vers toi et que tu ne vois en lui ni un frère ou ni une sœur, il fait nuit dans ton cœur, même s’il est midi. Mais, si tu vois en lui un frère ou une sœur, il fait jour dans ton cœur même s’il est minuit.

Oui, alors, quel est notre regard envers tous ? Est-ce que nous voyons dans chaque être humain un frère ou une sœur, agissons en conséquence et vivons en Fraternité avec tous ? Si c’est comme ça il fait jour dans notre vie. Si non, nous vivons encore dans les ténèbres et dans la nuit.

Aujourd’hui dans ce pardon, on nous invite à reconnaître nos faiblesses, à nous repentir, à nous convertir. On nous invite à vivre dans l’optimisme parce que l’Esprit Saint continue d’être présent dans notre Église, dans notre société, dans notre Monde.

On nous invite à nous engager pour construire le Royaume de Dieu, on nous invite à construire la Fraternité humaine.

Faisons un moment de silence pour que ces appels résonnent dans nos cœurs (en effet, nous sommes tous appelés ; quand on parle de vocation, la plupart déconnectent et disent : « Ah, moi je ne suis pas prêtre, ni je ne pense pas devenir moniale, ni avoir une vocation »). La vocation n’est pas une chose : on a une voiture, on a un agenda, on a un téléphone, mais personne n’a une vocation ; par contre, nous sommes tous appelés, et ce soir vous êtes appelés. Oui, si un jour vous mourrez, vous irez au ciel devant Dieu et Il vous demandera : « Pourquoi tu n’as pas fait ça ? » Peut-être direz-vous : « Je ne savais pas ! » Il vous dira : « Non, non, non, le 27 juillet 2024, au pardon des Sept Dormants, le Père Cristóbal vous a dit clairement : vous êtes appelés à faire çà, çà et çà, et toi tu n’as pas fait attention !  »

Donc faisons un moment de silence pour recevoir ce message que le Seigneur nous donne dans cette circonstance et dans cet évènement qui est le pardon des Sept Dormants.

Cristobal, cardinal Lopez Romero, sdb
Archevêque de Rabat

Lectures

1re lecture : Es 13, 8-11« Vous avez fait le ciel et la terre, et tout ce qui est contenu dans l’enceinte du ciel ».
Psaume 26 : « Le Seigneur est ma lumière et mon salut ».
Évangile selon Saint Matthieu : « Le royaume des Cieux est comparable à un homme qui a semé du bon grain dans son champ.

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